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Scénographie de choc: pour l'occasion, la scène de la MC93 a été recouverte de vrai gazon. Quatre machines à fumée entretiennent un brouillard épais. Un lampadaire est planté à cour. Cela n'empêchera pas de considérer le plateau comme une mer à traverser pour un zodiac rempli de migrants, ou comme le salon d'un couple aisé, à l'aide de quelques canapés et d'une bibliothèque. Evènement passé - Jusque dans vos bras | ANNULÉ - Bouger en Mayenne. Sans cesse, le public est ramené à se rappeler de la convention théâtrale, avec des changements de décor à vue, ou des commentaires des comédiens adressés à la salle, critiquant tout ce qui leur passe sous la main: le nom des personnages, les costumes, les décors, le public lui-même, le lieu… Sans cesse, le théâtre déborde du plateau, ça joue dans les escaliers, le public est sollicité et mis en jeu à son tour… Rien qui ne soit complètement nouveau: on est là dans les codes d'un théâtre qui se veut iconoclaste et subversif, imprévisible et incontrôlable. Dans ce décor s'enchaîne une succession de saynètes, qui sont autant de galeries de personnages plutôt savoureux, et de radioscopies d'une société française qui a perdu sa boussole.
Et quand on fait appel à nous pour attraper le cordage d'un canot de sauvetage de réfugiés pour les mettre hors de danger, 3 personnes se dévouent péniblement. Moi je me suis dit, « bon, je suis bien calée au 2ème rang, serrée comme une sardine, si je bouge je vais déranger tout le monde, à quoi bon? ». Comme dans la vie quoi! L'introduction du spectacle par un pseudo « chauffeur de salle » vaut le détour quand il nous demande de fermer les yeux, de respirer et de prendre la main de notre voisin. Je retiens de cette soirée un irresistible pique-nique sur l'herbe où une banale conversation entre amis se transforme en lancé de phrases aussi absurdes qu'assassines (« Ne me dis pas que je n'aime pas les musulmans, j'ai passé le 31 à Marrakech! »), l'hystérie d'un agent de l'Ofpra qui reçoit un demandeur d'asile et qui craque (« Emmenez-moi avec vous au Congo! Chien de navarre jusque dans vos bras de fer. ») et l'intérieur chic d'un couple de bobos en mal de sensations qui accueille des réfugiés africains (« Vous avez fait bon voyage? »).
On verra encore un canot de migrants demandant l'aide au public - suivie, selon les réactions dans la salle, d'une interpellation frontale des spectateurs créant comme un flottement - un taureau et un requin gonflés, un pape noir chantant du Johnny, des astronautes trébuchant sur la dernière marche - « le panache français tel DSK ou Henri Lecomte » - mais aussi un général de Gaulle maghrébin de 2m46 que drague une Marie-Antoinette la gorge en sang, une Jeanne d'Arc en feu, façon pucelle en chasse, ou encore Obélix déprimé par sa « sexualité de vieille dame ». Outranciers et jubilatoires, ces Chiens-là atteignent par moments un tel niveau de drôlerie - l'entrée en matière est simplement grandiose - qu'il arrive que le soufflet infligé au politiquement correct retombe parfois. On reste malgré tout dans la haute voltige. Note de la rédaction: 4/5 « Jusque dans vos bras », au Théâtre des Bouffes du Nord jusqu'au 2 décembre (Paris 10e) (01. TOUT LE MONDE NE PEUT PAS ÊTRE ORPHELIN | ChiensDeNavarre. 46. 07. 34. 50) puis en tournée en France.